Un Vénézuela en chute libre
- Reni Andcam
- 3 mars 2016
- 9 min de lecture
“ Quand le dernier arbre aura été abattu
Quand la dernière rivière aura été empoisonnée
Quand le dernier poisson aura été pêché
Alors l’on saura que l’argent ne se mange pas”.
Geronimo
La révolution bolivarienne mettant en pratique le socialisme du XXI ème siècle bat de l’aile.
Les travailleurs qui avaient vu leur niveau de vie augmenter grâce à l’assistanat massif de l’État replongent dans la misère.
Avant l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez, en 1999, les énormes revenus de l’or noir ne profitaient guère qu’aux compagnies pétrolières.
Chávez, sitôt élu, inversa cette politique, d’une part en militant avec pugnacité au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour un relèvement du prix du baril, d’autre part en contraignant les exploitants privés à payer leur dû à la collectivité.
Alors qu’auparavant l’industrie vénézuélienne des hydrocarbures ne reversait que 30 % de ses gains au Trésor public, son taux d’imposition grimpa à 70 % au cours des années suivantes.
Quand les coffres de l’État commencèrent à se remplir de pétrodollars, et après que l’opposition eut échoué en 2003 à bloquer l’exploitation pétrolière en vue de renverser Chávez, la question de savoir à quoi tout cet argent devait servir et quelle politique monétaire serait la plus adéquate devint un enjeu crucial pour l’avenir de la révolution bolivarienne.
Fallait-il mettre les fonds de côté en prévision des mauvais jours, comme la Norvège, les investir dans de grandes et opulentes infrastructures, à la manière du Qatar, ou plutôt les affecter à des programmes sociaux et à la lutte contre la pauvreté ?
La jeune République bolivarienne opta pour la troisième solution.
Tous les acquis sociaux en matière d'éducation, d'alphabétisation, de santé et de recul de la pauvreté ont été financés grâce à l'or noir.
Hugo Chavez a en effet mis le pétrolier PDVSA (Petroleos de Venezuela SA) au service de la "révolution bolivarienne".
L'entreprise publique est devenue une gigantesque agence de distribution d'allocation.
Elle finance, grâce à ses ressources évaluées à 100 milliards de dollars par an, tous les programmes sociaux du gouvernement.
Ce programme social a été combiné à une politique de contrôle des taux de change pour freiner la fuite des capitaux, devenue un défi majeur pour le gouvernement après la tentative de coup d’État ratée de l’opposition en 2002.
Couplée à la croissance démographique, cette politique a permis aux Vénézuéliens de consommer 50 % de calories de plus qu’en 1998, tout en réduisant les inégalités bien plus vite qu’ailleurs dans la région.
Mais la redistribution de la rente pétrolière aux pauvres présentait évidemment un risque inflationniste, puisqu’en dopant la consommation intérieure plus vite qu’on n’accroît la production, on provoque mécaniquement une hausse des prix (la demande est plus forte que l’offre).
L’effondrement des cours du pétrole au niveau mondial ( 70% en 18 mois dont 50 % depuis août 2015) met l’économie a mal.
Le prix du pétrole vénézuélien qui a connu un pic à 103,42 dollars (93 €uros) le baril en 2012 est tombé à 47,05 dollars (42 €uros) à la fin de l’année 2014, ce qui a provoqué une baisse d’un tiers des importations par rapport à 2012.
Résultat : l’or noir est très bon marché avec le prix le plus bas au monde.
Un plein de 50 litres d’essence coûte moins d’un €uro, soit plus de deux fois moins qu’une bouteille d’eau qui est facturée deux dollars (1,83 €).
Mais, l’essence n’abreuve pas et ne nourrit pas son homme.
Ce qui explique la queue toute la journée aux stations services pour remplir des jerricanes.
Une nouvelle profession a vu le jour : le trafic d’essence avec les trois pays frontaliers que sont la Colombie, le Brésil et la Guyana, plus rentable que le narcotrafic.
Tandis que la fuite des cerveaux s’accélère.
L’économie de ce pays dépend essentiellement des exportations du pétrole dont il tire 96 % de ses revenus externes.
L’économie se fonde sur les importations avec l’argent du pétrole et les capacités productives sont limitées.
L’économie est totalement enclavée dans la production pétrolière.
Ces quatorze dernières années, les politiques révolutionnaires hostiles au secteur privé ont fait de la nation sud-américaine, un pays chaque jour un peu plus dépendant de sa rente pétrolière, des bénéfices utilisés pour importer une grande quantité de denrées qui préalablement étaient produites sur le marché intérieur.
En effet, la politique de nationalisation (production agricole, grande distribution et pétrole) a fait fondre le secteur privé de moitié sous contrôle de l’État et étendu outrancièrement le secteur public.
Le secteur privé est aujourd'hui asphyxié, voire atrophié.
L’État a exproprié près de trois millions d'hectares.
Quelque 30 millions d'hectares de terres fertiles sont aujourd'hui laissées à l'abandon, ce qui oblige le pays à importer 80% de sa consommation alimentaire.
En outre, l’écart se creuse entre la valeur réelle du bolivar, qu’une inflation — même sous contrôle — déprécie mécaniquement sur le marché intérieur, et sa valeur nominale sur le marché des devises, laquelle est maintenue à un niveau élevé.
Cela a pour effet de pénaliser les industries vénézuéliennes, puisque le coût de leurs produits augmente plus vite que celui des biens d’importation.
Il en découle que les producteurs locaux se font écraser par la concurrence.
Le comble, c’est qu’en dépit de ses énormes réserves de brut ( plus importantes que celles de l’Arabie Saoudite), le Vénézuela en est réduit à importer de l’or noir depuis 2014, faute d’avoir suffisamment investi dans ses infrastructures.
Il vient ainsi de signer un accord pour en acheter à son voisin américain.
L’effondrement des cours du pétrole a provoqué une chute des recettes fiscales du pays, dont 50% proviennent du pétrole.
Le déficit public s’est ainsi envolé au delà de 20 % du PIB.
La situation est d’autant plus désastreuse que contrairement aux autres producteurs, ce poids lourd d’Amérique latine n’a quasiment rien mis de côté entre 2006 et 2014, quand le prix du baril côtoyait les 100 dollars.
Résultat : le fond souverain national n’a quasiment plus rien dans les caisses (moins d’un milliard de dollars - les réserves internationales se sont réduites de plus de la moitié depuis 2012) alors que ceux des autres gros producteurs de la planète totalisent plusieurs centaines de milliards.
L’effondrement du prix du pétrole a littéralement asphyxié le pays, où bon nombre d’entreprises ont été nationalisées par Hugo Chavez.
Du fait du recul des investissements et de la consommation qui en a résulté, le PIB a plongé à 10 % en 2015.
Et cette année ne sera guère mieux.
Il devrait chuter de 8 % selon le fonds monétaire international (FMI).
En 2014, l’inflation a atteint 64 %, la plus importante de toute la région latino-américaine avant d’atteindre 100 % et aujourd’hui 720 %, soit plus de deux fois et demi de plus que la hausse observée en 2015 (180,9 %).
Certes, la hausse des prix reste moins grave que celle du Zimbabwe en 2008 (elle avait atteint 2 600 % pour le seul mois de juillet 2008 !!!).
La pénurie importante de billets verts (dollars) freine les importations vitales sur le territoire et génère un sérieux problème d’approvisionnement dans un contexte faible de croissance et d’inflation record.
Le Vénézuela doit faire face à de graves pénuries alimentaires et de médicaments de l’ordre de 60 %.
Le pays manque de tout.
Dans les rayons, de nombreux produits de première nécessité manquent : du lait au poulet en passant par le café, la farine de blé indispensable pour cuisiner les arepas (le pain local), le sucre, l’huile, le papier toilette, les préservatifs, le déodorant, le cercueil, les bouchons de bouteille en plastique, les couches bébé, le shampoing et le dentifrice.
Les Vénézuéliens doivent faire la queue interminable toute une journée devant un camion de ravitaillement pour acheter un litre de lait.
Une nouvelle profession a même vu le jour : celle de faire la queue à la place des clients.
Des émeutes et pillages ont éclaté dans plusieurs villes alors que les rayons des magasins d’État dont les prix sont contrôlés restent désespérément vides.
La pénurie accable d’autant plus la population qu’elle s’ajoute aux problèmes d’infrastructure qui provoquent des coupures d’eau et d’électricité.
Ceux qui le peuvent remplissent leur baignoire pour constituer des réserves, et tout le monde prie pour ne pas perdre le contenu de son congélateur …
Un restaurant a été obligé de fermer ses portes en raison d’une coupure d’eau.
Le gouvernement a même récemment annoncé un rationnement de l’électricité dans 250 centres commerciaux pendant trois mois.
Pire, 70 % des médicaments de base sont en rupture de stock.
Une nouvelle profession a vu le jour : le trafic de marchandises avec les trois pays frontaliers que sont la Colombie, le Brésil et la Guyana.
Sans oublier l’essor d’une économie parallèle où des vendeurs de rue proposent les mêmes biens à des prix prohibitifs.
Que dire de l’effondrement de la monnaie locale au marché noir ( moins 92 % en deux ans).
Le gouffre se creuse entre le taux de change officiel et le taux de change pratiqué au marché noir.
Moyennant quoi l’accès aux bureaux de change gouvernementaux devient un privilège de plus en plus convoité et disputé.
Une année d’études en université privée aux États-Unis, par exemple, coûtait 10 000 dollars au début de 2010, soit l’équivalent de 46 000 bolivars.
Aujourd’hui, elle en coûte toujours autant, bien que, techniquement, le bolivar ait perdu entre-temps 50 % de sa valeur sur le sol vénézuélien.
En trois ans, le prix d’une année universitaire à l’étranger a donc fondu de moitié.
En ce qui nous concerne, l’accès aux bureaux de change gouvernementaux est plus qu’un privilège.
Faire rentrer des devises étrangères en dépit de l’interdiction et les changer au marché noir devient une nécessité.
Le cours officiel est de 6 bolivars pour 1 dollar.
Ce qui signifie qu’une nuit d’hôtel à 6 000 bolivars coûte 1 000 dollars !!!!
Qui peut se le permettre !!
Celui pratiqué au marché noir varie entre 600 et 800 bolivars pour un dollar.
Ce qui signifie qu’une nuit d’hôtel à 6 000 bolivars ne coûte que dix dollars !!!
En somme, le contrôle du taux de change est devenu un outil avantageux surtout pour les catégories les plus aisées de la population, puisque les achats de dollars sont réservés à ceux qui ont les moyens de voyager, d’envoyer de l’argent à des proches ou de financer des études à l’étranger.
Entre 2011 et 2013, le nombre de Vénézuéliens voyageant à l’étranger a doublé. Mais la plupart rentrent sans avoir dépensé la majeure partie de leurs dollars, qu’ils gardent pour pouvoir les échanger contre des bolivars sur le marché noir …
Et, bien évidemment, une nouvelle profession a vue le jour.
Nombreux sont ceux qui en dépit d’une belle profession (architecte etc..) préfèrent la rue et devenir agent de change dans le marché noir.
Pour ne rien arranger, le contrôle des changes instauré pour limiter la fuite des capitaux empêche les entreprises étrangères de rapatrier l’argent accumulé dans le pays.
C’est le cas d’Air France notamment.
Les dettes ne font que croître.
Le pays doit des centaines de millions d’euros au titre des importations de biens et services entre 2013 et 2015.
La dette externe s’élèverait à 250 millions de dollars (224 millions d’€uros) en avril 2015.
Les dettes commerciales accumulées sont de quelques 12,5 millions de dollars (11 millions d’€uros, fermant la porte à plusieurs investisseurs dans différents secteurs, ce qui n’a fait qu’aggraver la pénurie.
Le déficit public est estimé entre 18 et 20 % du PIB.
Le salaire minimum est un des plus bas d’Amérique du Sud avec ses 4 251 bolivars, soit 675 dollars par mois (488 euros) au cours officiel le plus bas de 6,3 bolivars pour 1 dollar.
Ce qui signifie qu’avec 100 dollars, soit 80 000 bolivars, nous détenons plus d’un an de salaire !!!
De quoi rougir de honte.
Près de la moitié (48,4 %) des 30 millions d’habitants vivaient sous le seuil de pauvreté en 2015 contre 23,4 % en 2010.
Parmi ces quelques 15 millions de pauvres, la moitié n’avaient pas assez pour se nourrir et un tiers étaient des nouveaux pauvres.
D’après l’indicateur de Bloomberg, le pays décroche la triste palme du pays le plus misérable au monde avec un indice de 159,è loin devant l’Argentine (39,9), l’Afrique du Sud (32) et la Grèce (27).
Les trafics, la contrebande et la fuite des capitaux s’avèrent plus attractifs et plus commodes que les investissements légaux dans la production et la distribution.
L’effondrement de l’économie vénézuélienne a aussi provoqué une explosion des meurtres dans le pays.
D’après l’observatoire national de la violence, le pays a enregistré un taux d’homicide de 90 pour 100 000 habitants.
En 2015, au palmarès des villes les plus dangereuses au monde, Caracas arrive en tête du podium avec 120 homicides pour 100 000 habitants et près de 4 000 assassinats dans la capitale (plus de 10 par jour en moyenne).
Nombre de touristes ont assisté à des fusillades et eu plusieurs fois le pistolet sur la tempe.
Pour couronner le tout, le Vénézuela est un des pays les plus corrompus au monde.
Il se classe 158ème sur un total de 168 États, juste derrière l’Irak et la Libye, ce qui en fait le pays latino-américain le plus corrompu.
Pourquoi les caisses sont-elles vides ?
L’on peut se demander où est passé l’argent du pétrole et des prêts chinois (45 milliards depuis 2007 dont 10 milliards rien qu’en 2015) sans parler de l’argent du narcotrafic impliquant la famille de l’actuel Président de la République.
Entre 2014 et 2015, le pays aux plus grandes réserves de brut du monde a perçu quelques 750 milliards de dollars (674 milliards d’€uros).
Le pays est au bord de la faillite au point que Nicolas Maduro, le successeur d’Hugo Chavez, vient de décréter l’état d’urgence économique, et d’en appeler à l’aide internationale pour éviter la famine.
Il y a 80 % de chances pour que le pays se retrouve en défaut de paiement en 2016.
Cam
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