L'histoire de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie
- Reni Andcam
- 26 avr. 2016
- 10 min de lecture
Fin du chauvinisme !
Les français ne découvrirent pas la Nouvelle-Calédonie.
En 1774, c'est le navigateur britannique James Cook qui, le premier, aborda ces terres australes, dont le relief lui rappela la Calédonie, sur les rivages d’Écosse, au sud des Hébrides, et qu'il baptisa naturellement New-Caledonia.
Cependant, il ne se douta pas de l'existence des îles qui s'appelleront plus tard « Loyauté ».
Son expédition fut d'emblée frappée par la richesse biologique et géologique des lieux.
Il est important de citer les écrits de Georges Foster, fils de l'un des savants qui accompagnaient Cook, comme l'annonce de ce qui motiva par la suite les colons : il décrit « une grande masse irrégulière de rocher de dix pied cubes, d'une pierre de corne d'un grain ferme, étincelant partout de grenats un peu plus gros que des têtes d'épingle. Cette découverte nous persuada d'autant plus qu'il y a des métaux précieux dans cette île ».
Cook noua des contacts avec les autochtones, qu'il dénomma « indiens », et dont il fit des descriptions avenantes à l'instar du « bon sauvage » de Rousseau. Il nota également les particularités de la vie sociale de ce peuple : « les échanges de biens et de discours, les soins portés à la culture des tubercules, la courtoisie, le peu d'autorité des chefs, la soumission des femmes, une extrême attention à tout ce qui est nouveau ».
Cook ignorait que ces indigènes étaient apparentés aux autres peuples de Polynésie, Micronésie et Mélanésie, et s'étaient installés en Nouvelle-Calédonie environ mille cinq cents ans avant notre ère.
Dans le courant du dix-neuvième siècle, ils furent pris dans le leu géopolitique e religieux mené par la vieille Europe.
La France et l'Angleterre se livrèrent alors une bataille tant stratégique que religieuse, s'opposant leurs intérêts économiques bien compris et leurs religions respectives.
De cette course à l'évangélisation des derniers sauvages à laquelle se livrèrent la fille aînée de l’Église catholique et les sujets protestants de Sa Majesté, la Nouvelle-Calédonie s'en trouva annexée à la France le 24 septembre 1853 sur les ordres de Napoléon III par le contre-amiral Febvrier-Despointes, soit dix ans après le débarquement de monseigneur Douarre, alors accompagné par le capitaine de corvette Laferrière qui était chargé de hisser les couleurs françaises sur le territoire.
L'Empereur projetait de créer sur cette terre lointaine une colonie pénitentiaire.
Les missionnaires de la Société de Marie, autrement appelés Maristes, qui avaient reçu le vicariat de l'Océanie occidentale, profitèrent de son appui pour s'y implanter.
L'évangélisation qui fut initiée dès 1843 (mais n'est-ce pas là une forme de colonisation spirituelle?) donna lieu aux premiers conflits et, par voie de conséquence, aux premières répressions.
En 1847, la Marine nationale dut évacuer les missionnaires en Australie, avant de procéder à une expédition punitive.
Le seul choc intellectuel entre les deux communautés ne suffit cependant pas à expliquer ces affrontements.
Certes, les préceptes des pères maristes ne pouvaient que se heurter violemment aux croyances totémiques locales qui tendaient à diviniser l'environnement et les ancêtres afin d'obtenir une vie prospère : les missionnaires voulurent substituer au paradis sur terre la promesse d'un au-delà meilleur.
De plus, les mélanésiens ne comprirent pas les rites chrétiens, qu'ils assimilèrent rapidement à de la sorcellerie néfaste.
Accueillis comme des dieux, les missionnaires ne furent pas à la hauteur des espérances placées en eux.
Les causes des premiers conflits doivent plutôt s'apprécier en termes de ressources et de subsistance.
En effet, les pères obtinrent des terres qu'ils destinèrent à la culture.
Or, celles-ci faisaient parfois l'objet de litiges anciens entre les indigènes, qui continuèrent de se les disputer après les avoir cédées, si bien que les prêtres se trouvèrent pris dans des affrontements pour eux incompréhensibles.
Par ailleurs, les religieux se montrèrent jaloux de leurs biens, refusant de les partager par temps de famine, alors qu'ils ne devaient leur survie qu'à ceux-là mêmes qui les avaient aidés et à qui ils enseignaient la charité chrétienne.
Un tel mépris de la coutume, ne pouvait que dégénérer.
La terre, tel était le cœur du problème de la colonisation, qui se posait avec d'autant plus d'acuité que les rapports entretenus avec elle par les indigènes étaient originaux et relevaient du sacré.
D'une part, l'alimentation calédonienne était à cette époque à 80% végétarienne, ce qui donnait à la terre et à la culture de l'igname et du taro un caractère impérieux, qui se traduisait par de nombreux rites saisonniers.
D'autre part, alors que les Européens appréhendaient la terre comme un outil de production, les mélanésiens se considéraient comme en étant issus ; bref, la terre ne leur appartient pas, ils lui appartiennent, même si ce rapport se fonde sur la propriété privé.
L'homme est l'expression du sol de ses ancêtres.
Si bien que la confiscation des terres était bien plus qu'une simple expropriation, presque un homicide.
De cette incompréhension majeure naîtra un conflit aussi culturel que colonial.
Car la France veut de terres, en premier lieu pour le bagne que Napoléon III souhaite installer outre-mer.
Il ne faudrait pourtant pas croire que la Nouvelle-Calédonie ne se peupla que grâce à des migrants forcés.
Aventuriers de fortune, chercheurs d'or, « santaliers », commerçants ou contrebandiers qui parfois étaient les mêmes, firent la réputation de la jeune colonie qui menaça de tomber sous l'influence anglo-saxonne de la proche Australie d'autant plus aisément que le bagne n'incitait guère les français de métropole à venir s'installer sur une terre à la sécurité incertaine, secouée par la grande révolte de 1878.
La propagande, à l'efficacité déjà limitée, attira surtout les migrants à Nouméa, seule grande ville de l'archipel, à l'économie de comptoir portée à bout de bras par les détenus.
Le problème se posa d’asseoir la vie locale sur des échanges commerciaux sains et solides.
L'administration incita alors les migrants à s'enfoncer dans la brousse pour se faire et souvent s'improviser agriculteurs, par de belles promesses sur la douceur du climat et la fertilité des terres, acquise par les travaux séculaires des indigènes, qui se virent au mieux imposer une cohabitation mouvementée avec du bétail dont ils ignoraient l'existence, au pire chasser de leurs villages de plus en plus profondément vers l'intérieur montagneux et stérile de l'île loin de leurs ingénieux canaux d’irrigation nécessaires à leurs précieuses cultures.
Les « permis d'occupation » eurent pour résultat le quintuplement des aliénations de 1868 à 1872, passant de trente mille à cent cinquante mille hectares.
Las ! Les colons, dont la plupart n'y entendait rien aux métiers de la terre, s'aperçurent rapidement à leurs dépens de la duperie de la politique de peuplement et de mise en valeur du territoire.
Les mélanésiens ne purent cependant pas regagner les terres abandonnées dont ils avaient été dépossédés.
Car, en 1894, le gouverneur Feillet, que d'aucuns décrirent comme énergique voire tyrannique (une telle attitude étant facilitée par l'éloignement de l'administration centrale métropolitaine), lança l'aventure du café et appela à l'immigration de métropolitains à grand renfort de promesses tout aussi belles et vaines que celles de ses prédécesseurs, malgré la concession à à titre gratuit de terrains.
« Fermer le robinet d'eau sale et ouvrir en grand le robinet d'eau propre », selon la formule historique, telle fut la nouvelle ligne de conduite, qui aboutit à arrêter la transportation en 1897.
Face à ce monde inconnu, la centaine de familles qui est entrée dans l'histoire sous le nom de « colons Feillet » réclama vainement l'aide promise.
Ce ne fut donc pas de son agriculture hasardeuse que procéda le peuplement le plus important de la Nouvelle-Calédonie, mais de son patrimoine géologique, déjà pressenti par Georges Foster.
Charbon, or, cuivre, argentifère, zinc, fer, cobalt, chrome sont certes extraits en quantité non négligeables.
Mais la véritable découverte qui allait changer en profondeur la vie du « Caillou », qui ne mériterait dès lors plus une dénomination aussi vulgaire, fut faite en 1863 par l'ingénieur Jules Garnier qui mit au jour de considérables réserves de nickel.
1874, 1875, les premières mines sont en activité, entraînant la construction en 1879 d'une usine de traitement de ce minerai ô combien précieux eu égard aux besoins des industries métallurgiques.
La Société Le Nickel fut fondée en 1880 et conservera longtemps son rôle de potentat dans la vie néo-calédonienne.
L'immigration régionale fut à la hauteur du besoin de main-d’œuvre, qui ne devait cependant pas être satisfait à n'importe quel coût, fût-ce au prix d'enlèvements et de trafics innommables.
« Indiens de la Réunion, Néo-Hébridais et, quelques décennies plus tard, Japonais, Indochinois, Javanais des Indes néerlandaises, mais aussi des Européens hagards et déboussolés à la suite de leur libération du bagne ou de leur échec en brousse connurent les souffrances des mines à ciel ouvert.
Les indigènes ne pouvaient-ils pas suffire pour les exploiter ?
Écartés de la production de ce qui n'était richesse que pour les tenants du système, les mélanésiens, dont la civilisation ne connaissait pas l'âge du fer, assistèrent à l'arrivée de ces travailleurs et à l'éventration de leur terre des plaies de laquelle sortait un métal dont ils n'avaient que faire.
Forçats, immigrants trahis, mineurs et travailleurs de force, tel est la tableau disparate des colons de Nouvelle-Calédonie. À la fin du XIXème siècle.
En 1906, les mélanésiens, qui étaient les seuls occupants de l'île cinquante ans auparavant, n'étaient plus que trente mille, tandis que le nombre des immigrants était passé de mille trois cents en 1870 à vingt-cinq mille.
La gravité de la situation n'apparaît qu'en termes dynamiques, qui montrèrent alors que depuis la prise de possession du territoire la population indigène avait diminué de moitié.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette brutalité numérique : les épidémies de grippe, de variole, de lèpre, de maladies pulmonaires, celle de la peste en 1899 et le fléau de l'alcool qu'amenèrent avec eux les immigrants, la mise en place vers 1860 d'une traite de mélanésiens par les planteurs du Queensland australien, de même que la répression sanglante des diverses émeutes, ont certes contribué à l'amenuisement de la population mais ne peuvent pas fonder à eux-seuls un tel gouffre démographique, dont l'explication la plus probante est d'un tout autre ordre : le désespoir dans l'avenir.
Ainsi, le fier Canaque de l'insurrection, vaincu, préfère ne pas avoir d'enfants que de les voir exploités par les blancs.
La terre néo-calédonienne, à la fois creuset originel et socle de la vie sociale des indigènes leur fut progressivement dérobée sous l'effet de l'expansion démographique et économique.
Le développement urbain dont Nouméa fut la principale bénéficiaire s'est parallèlement accompagné d'implantations en milieu rural d'exploitations agricoles dont le nom de « stations » provient des fermes australiennes.
L'administration française avait pourtant avancé de fermes engagements, en ce qui concerne les terres des indigènes.
Ces belles promesses ne seront pas tenues.
D'accaparements violents et incontrôlés en complicités judiciaires, de transactions plus que lésionnaires en manœuvres de déstabilisation des hiérarchies tribales, qui tendaient à faire des chefs les uniques interlocuteurs valables tout en substituant un découpage arbitraire à l'organisation clanique traditionnelle, de grands domaines naquirent sur les meilleurs sites, repoussant les tribus loin du bienfait de leurs ancêtre issus et retournés depuis à la terre ; de vastes domaines aux limites mal définies que leurs propriétaires ne prirent pas la peine de clôturer, laissant le bétail récemment introduit sur cette île, qui ne connaissait que quelques mammifères de taille moyenne, piétiner les plantations de taros et d'ignames, au grand dam des mélanésiens qui se plaignirent vainement.
Les révoltes furent nombreuses, qui permirent d'agrandir d'autant le domaine conquis à titre de punition, jusqu'à la grande révolte de 1878 amenée par le chef Ataï.
« Le jour où mes taros iront manger votre bétail, je dresserai des clôtures autour de mes cultures », aurait-t-il dit alors.
A l'incurie des propriétaires terriens à parquer leurs bêtes correspondit, en 1876, la décision d'établir des réserves pour les indigènes.
Disparaître ou se battre : le 18 juin 1878, Ataï choisit.
Goliath sortit vainqueur de deux mois de luttes sauvages des deux côtés, fratricides du fait du ralliement de certaines tribus aux puissantes troupes françaises qui y furent engagées, et qui se prolongèrent par un semestre de pacification qui vit la mort d'un millier de révoltés, dont le chef emblématique fut décapité par un mélanésien.
La politique volontaire du gouverneur Feillet, grâce à l'arrêté du 13 novembre 1897 qui avait pour but de libérer des terres à l'intention de ses « colons », acheva le remplissage des réserves à la fin du XIXème siècle.
Confinés sur une terre de moins en moins leur et sur laquelle ils durent payer une taxe foncière sous la forme d'un impôt de capitation en vertu du Code de l'indigénat établi par le décret du 18 juillet 1887, les mélanésiens furent astreint à des travaux obligatoires rémunérés en de ça du salaire prévu pour les Européens.
Les désobéissances étaient punissables d'amende, d'emprisonnement, d'interdiction de séjour, d'internement ou d'astreinte à résidence sur simple décision administrative.
En vigueur jusqu'à la deuxième guerre mondiale, ce régime fut complété en juin 1934 par une « prime à la capture » des contrevenants qui encouragea naturellement la délation.
Cet esclavage qui ne dit pas son nom fut facilité par le fait que ses victimes ne profitaient pas encore de la nationalité française.
Mais bénéficiaient-elles seulement de la condition d'hommes ?
Cela n'empêcha cependant pas à la mère patrie d'appeler en renfort ces solides gaillards à la rescousse d'une nation dont ils étaient censés être issus par « leurs ancêtres les Gaulois », menacée par ses ennemis héréditaires d'outre-Rhin.
En 1917, de nouvelles révoltes sous le commandement du chef Noël éclatèrent pour protester contre le généreux don par l’État d'un uniforme bleu horizon et d'un voyage dans cette métropole inconnue, de laquelle ceux qui revinrent ne gardèrent comme souvenir que la boue des tranchées ou les cicatrices de leurs blessures.
Une autre guerre se dessina bientôt, qui allait voir l'émergence d'un renouveau indigène, déjà amorcé par la reprise démographique dans années vingt, et qui rendrait acceptable l'usage du mot « Kanak » par la perte de son caractère injurieux car raciste.
En 1942, plus de cent mille soldats américains s'installèrent en Nouvelle-Calédonie à la position stratégique évidente durant la guerre du Pacifique.
Leur mode de vie radicalement différent de l'immobilisme local, et surtout le fait que des soldats noirs pouvaient fort bien cohabiter et même commander à des blancs influencèrent l'évolution de la vie néo-calédonienne.
En 1946, le gouvernement abolit par décret le code de l'indigénat et accorda à tous les habitants de l'île la nationalité française.
La loi dite « Deferre » de 1956 permit l'émergence d'une représentation politique mélanésienne, notamment par le parti de l'Union calédonienne (dont le slogan était « Deux couleurs, un seul peuple »), bien que le droit de vote ne fut pleinement accordé aux mélanésiens qu'en 1957.
La Nouvelle-Calédonie maintint son statut de territoire d'outre-mer en 1958.
Pour autant, la métropole garda le contrôle des destinées calédoniennes, étroitement liées aux contingences d'une politique Pacifique dominée par les essais nucléaires dans la proche Polynésie.
Ainsi, en 1963 et 1969, les lois Jacquinot et Billotte resserrèrent l'étau autour de la jeune démocratie enfin représentative, dont la seule frange blanche profita du « boom » du nickel des années 1969-1972, ce qui ne manque pas de radicaliser un peu plus l'opposition mélanésienne autour de l'idée d'indépendance, qui s'exprima par une nouvelle élite.
Le premier ministre Pierre Messmer, qui s'inspira peut-être du gouverneur Feillet, décida alors non « d'ouvrir le robinet d'eau propre », mais de « planter du blanc » en encourageant l’immigration massive afin de contrecarrer les aspirations indépendantistes.
Quelque vingt-mille personnes grossirent les rangs des non mélanésiens en Nouvelle-Calédonie.
Cam
Source : L'assaut de la grotte d'Ouvéa, Cédric Michalski, L'Harmattan, 2004
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