Les hauteurs du Machu Picchu
- Reni Andcam
- 29 sept. 2015
- 3 min de lecture

La célèbre citadelle des Incas a fortement impressioné le poète chilien Pablo Neruda qui a écrit un poème consacré à ce fabuleux site, un poème intitulé "Les Hauteurs de Machu Picchu" et que l'on peut découvrir dans une de ses oeuvres principales : Chant Général. De retour du Machu Picchu, Pablo Neruda a écrit ces quelques mots : "Machu Picchu est un voyage à la sérénité de l’âme, à la fusion éternelle avec le cosmos, là-bas nous sentons notre propre fragilité. C’est une des plus grandes merveilles d’Amérique du Sud. Un havre de papillons à l’épicentre du grand cercle de la vie. Un miracle de plus". Cette impression que peut ressentir le simple voyageur découvrant ce joyau du Pérou, Pablo Neruda la transcrira dans ce magnifique poème :
Monte naître avec moi, mon frère. Donne-moi la main, de cette profonde zone de ta douleur disséminée. Tu ne reviendras pas du fond des roches. Tu ne reviendras pas du temps enfoui sous terre. Non, ta voix durcie ne reviendra pas. Ne reviendront pas tes yeux perforés. Regarde-moi du tréfonds de la terre, laboureur, tisserand, berger aux lèvres closes dresseur de tutélaires güanacos maçon de l'échafaudage défié porteur d'eau de larmes andines joaillier des doigts écrasés agriculteur qui trembles dans la graine potier répandu dans ta glaise apportez à la coupe de la vie nouvelle vos vieilles douleurs enterrées. Montrez-moi votre sang, votre sillon, dites-moi : en ce lieu on m'a châtié car le bijou n'a pas brillé ou car la terre n'avait pas donné à temps la pierre ou le grain : Désignez-moi la pierre où vous êtes tombés et le bois où vous fûtes crucifiés, illuminez pour moi les vieux silex, les vieilles lampes, les fouets collés aux plaies au long des siècles et les haches à l'éclat ensanglanté. Je viens parler par votre bouche morte. Rassemblez à travers la terre toutes vos silencieuses lèvres dispersées et de votre néant, durant toute cette longue nuit, parlez-moi comme si j'étais ancré avec vous, racontez-moi tout, chaîne à chaîne, maillon à maillon, pas à pas, affûtez les couteaux que vous avez gardé, mettez-les sur mon cœur et dans ma main, comme un fleuve jaune d'éclairs, comme un fleuve des tigres enterrés, et laissez-moi pleurer, des heures, des jours, des années, des âges aveugles, des siècles stellaires. Donnez-moi le silence, l'eau, l'espoir. Donnez-moi le combat, le fer et les volcans. Collez vos corps à moi ainsi que des aimants. Accourez à ma bouche et à mes veines. Parlez avec mes mots, parlez avec mon sang.
(...)
Alors j’ai grimpé à l’échelle de la terre
Parmi l’atroce enchevêtrement des forêts perdues
Jusqu’à toi Macchu-Picchu. Haute cité de la pierre scalaire (1),
Demeure enfin de celui que la terre
N’a point caché sous les tuniques endormies.
Et toi, comme deux lignes parallèles,
Le berceau de l’éclair et le berceau de l’homme
Se balançaient dans un vent plein d’épines.
Mère de pierre, écume des condors.(2)
Haut récif de l’aurore humaine.
Pelle abandonnée dans le premier sable. Ceci fut la demeure, il reste l’endroit :
Ici les larges grains du maïs s’élevèrent
Avant de redescendre comme une grêle rouge.
Ici le fil doré sortit de la vigogne (3)
Pour vêtir les amours, les tumulus, les mères,
Le roi, les prières, les combattants.
Ici, pendant la nuit, les pieds de l’homme reposèrent
Près des pattes de l’aigle, dans les hauts repaires
Des carnassiers et, à l’aurore,
Ils foulèrent avec les pieds du tonnerre le brouillard raréfié,
Et touchant les terres et les pierres, ils arrivèrent
A les identifier dans la nuit ou la mort.
Je regarde les vêtements, les mains,
Le vestige de l’eau dans la faille sonore,
La paroi adoucie par le contact de ce visage
Qui regarde avec mes yeux les lampes de la terre
Et qui graissa avec mes mains les bois
Disparus :parce que tout, les habits, la peau, la vaisselle,
Les mots, le vin, le pain,
S’effaça, rentra dans la terre.
Et l’air passa avec ses doigts
De fleur d’oranger sur les endormis :
Mille années, des mois, des semaines d’air,
De vent bleu, d’âpre cordillère,
Qui furent comme de doux ouragans de pas
Lustrant la solitaire enceinte de pierre.
Cam
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