Un monde de brut
- Reni Andcam
- 2 août 2015
- 6 min de lecture
Selon les spécialistes de l'environnement, l'un des plus grands désastres de tous les temps provoqués par le pétrole est l’œuvre de Texaco (depuis 2001 fusionnée avec l'actuelle Chevron) qui, en partenariat avec l'entreprise nationale équatorienne Petroecuador, a extrait quelque 5,3 milliards de litres de pétrole dans le Nord de l'oriente (Amazonie équatorienne) entre 1964 et 1992, sur une concession d’un million d’hectares.
En 2003, des avocats américains déposèrent une plainte équatorienne à Lago Agrio (l'affaire fut sortie des tribunaux américains après près de deux décennies de batailles judiciaires) au nom de 30000 équatoriens habitants de la province de Sucumbios rassemblés au sein d’une association contre Chevron Texaco, affirmant que la Société avait intentionnellement déversé plus de 68 milliards de litres de déchets toxiques dans la forêt amazonienne équatorienne, dont 68 millions de litres de pétrole, près de deux fois la catastrophe de l'Exxon Valdez (pétrolier américain qui s'échoua en 1989 sur la côte de l'Alaska et provoqua une importante marée noire qui eut un grand retentissement aux États-Unis et entraîna des modifications significatives de la législation américaine sur le transport maritime, en particulier de pétrole).
Les plaignants affirment que les pratiques de Texaco ont décimé les populations indiennes (notamment les cofan et les secoga), détruit les écosystèmes et créé un environnement toxique qui a abouti à une hausse du nombre de cancers et de grossesses avortées.
Les plaignants accusent la compagnie Texaco Petroleum d’avoir déversé les déchets de ses puits de pétrole dans des fosses à ciel ouvert sans protection et dans les rivières.
L’utilisation de techniques obsolètes pour l’exploitation de centaines de puits, ainsi que la gestion hasardeuse des déchets, ont entraîné une importante pollution des sols, des forêts, des rivières, et des conséquences sur la santé des populations.
Ils réclamaient la somme de 6 milliards de dollars.
En 1992, la compagnie nationale Petroecuador a repris une partie des opérations de Texaco.
Chevron affirme que la société équatorienne est responsable de la pollution.
Chevron affirme que Texaco a nettoyé ses dégâts grâce à un programme de 40 millions de dollars de dépenses dans les années 1990 imposé par le gouvernement équatorien et a obtenu de la part du gouvernement équatorien en 1998 un accord le dédouanant de toute responsabilité future.
Selon le site de Texaco, les problèmes sanitaires que connaît la région seraient dus au manque d'infrastructures de traitement des eaux et d'accès à des soins médicaux.
Au printemps 2008, un expert mandaté par la Cour a recommandé que Chevron paie entre 8 et 16 milliards de dollars pour nettoyer la jungle.
En février 2011, la Cour nationale de justice équatorienne, la plus haute instance du pays, l’équivalent de la Cour de cassation en France, condamnait l’entreprise pétrolière américaine Chevron à verser 9,5 milliards de dollars de dommages aux victimes.
La multinationale, condamnée en première instance, devait « présenter des excuses publiques aux victimes », sous peine de voir l’amende multipliée par deux.
Début janvier 2013, la Cour de justice de la province de Sucumbios, en Équateur, a confirmé en appel ce jugement, au terme de dix-huit années de bataille judiciaire.
18 milliards de dollars.
C’est l’amende infligée par la justice équatorienne à la multinationale Chevron, la deuxième entreprise énergétique des États-Unis, pour les dévastations environnementales causées par sa filiale Texaco en Amazonie équatorienne.
C’est la plus lourde peine de l’histoire du droit de l’environnement.
Cette décision de justice historique visait à apporter réparation aux victimes de la pollution catastrophique occasionnée par les activités du géant pétrolier Texaco en Amazonie équatorienne.
Le verdict historique s’appuie notamment sur les échantillons de terre fournis par des experts de Chevron.
Ceux-ci ont révélé des niveaux « alarmants » de substances hautement toxiques, comme le benzène, le toluène, le plomb, le mercure, le baryum et le cadmium.
Chevron dénonce un complot international
Cette décision mettait fin à la procédure civile proprement dite, mais Chevron a refusé de s’y soumettre.
Depuis, les victimes et leurs avocats engagent un bras de fer juridique d’envergure internationale pour faire appliquer cette sentence.
Car Chevron, après avoir fait des pieds et des mains pour ne pas être jugée aux États-Unis, se prétend aujourd’hui victime d’une conspiration, et refuse de payer.
De son côté, la compagnie pétrolière considérait « illégitime et inapplicable » la première décision de justice.
Condamnée en appel, ses dirigeants critiquent cette fois un jugement politique et « la corruption de la justice équatorienne, qui plombe cette affaire frauduleuse depuis le départ ».
Ce mépris pour les tribunaux équatoriens est très récent.
Au début des années1990, Texaco avait tout fait pour que le procès n’aie pas lieu aux États-Unis mais... en Équateur.
Le pétrolier avait même produit de nombreux témoignages attestant de l’indépendance et de l’impartialité de la justice locale.
Texaco avait donc accepté de se plier aux conclusions du procès engagé en Équateur.
Une position remise en cause par son nouveau propriétaire, Chevron, dès l’ouverture du procès.
Résultat : la multinationale pourrait porter l’affaire devant la Cour suprême équatorienne, ou devant la Cour internationale de justice de La Haye et les tribunaux à New York.
Comment faire respecter le verdict ?
Il n’est pas possible de faire exécuter le jugement en Équateur, car la multinationale Chevron n’a plus aucun actif pouvant être saisi dans le pays.
Selon l’avocat des plaignants, Pablo Fajardo, tous les moyens juridiques seront mis en œuvre pour récupérer la somme due : « Des embargos, la rétention d’actifs, le gel de comptes bancaires, jusqu’à la saisie de raffineries à l’étranger.»
Les avocats des victimes ont donc dû recourir à la Convention inter américaine d’exécution des jugements.
Mais comme les États-Unis ne sont pas partie de cette convention, les avocats ont dû passer par d’autres pays américains où Chevron avait des intérêts.
D’abord l’Argentine, où la Cour suprême a fini par refuser la requête des avocats, dans un contexte politiquement difficile puisque Chevron avait mis dans la balance la promesse d’un milliard de dollars d’investissements dans le pays.
Aujourd’hui, les avocats pensent aux autres États américains qui ont ratifié la convention, et travaillent sur une procédure au Canada.
La procédure civile, dont le but était d’obtenir réparation pour les pollutions occasionnées par les activités de Texaco et leurs conséquences sur l’environnement et la santé des populations locales, a commencé aux États-Unis en 1992.
C’était au moment de la fusion de Chevron et Texaco.
En 2001, sur l’insistance démesurée des avocats de Chevron, la justice américaine a décidé qu’elle n’était pas compétente, et que l’affaire devait être jugée en Équateur.
Donc, après la fusion, les avocats de Chevron ont signé un accord acceptant de se plier à la décision de la justice équatorienne.
C’était avant qu’ils changent d’avis et commencent à dire que la justice équatorienne est la plus corrompue au monde…
Alors que la procédure civile a ainsi débouché sur une condamnation de Chevron qui reste à exécuter, les victimes réunies au sein de l’UDAPT (Unión de los afectados y afectadas por los operaciones de la pétrolera Texaco) et leurs avocats ont décidé, en octobre 2014, de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye pour qu’elle ouvre une enquête criminelle sur le PDG de Chevron John Watson.
Celui-ci est accusé avec les autres dirigeants de l’entreprise d’avoir délibérément refusé de remédier aux problèmes de pollution, et à leurs conséquences dévastatrices pour les populations de la Région de l’Oriente.
C’est la première fois qu’un dirigeant d’entreprise privée est attaqué devant la Cour pénale internationale, et aussi la première fois que cette instance est saisie pour un crime de nature environnementale.
Dans le même temps, en février 2010, avant le premier verdict, Chevron a tenté une ultime manœuvre en initiant aux États-Unis un procès dit « RICO » visant les plaignants, certains des avocats et les experts qui ont travaillé sur cette affaire pour les victimes équatoriennes, notamment Steven Donzinger, les accusant de conspiration, de fomenter un complot contre la multinationale.et de tentative internationale d’extorsion et de racket.
Steven Donzinger a été condamné en mars dernier, mais les avocats ont bon espoir que cette décision soit renversée en appel dans quelques mois, car le juge Kaplan, qui a rendu la décision en première instance, a vraiment dit des choses incroyables, et intenables, dans sa sentence.
8 milliards d’euros de dégâts environnementaux au Brésil
Cette décision pourra surtout inciter à engager d’autres procès contre Chevron, partout où cela est légalement possible, estime l’avocat.
Le jugement de première instance n’a pas empêché John Watson, PDG de Chevron, d’affirmer dans son rapport annuel que l’année 2010 avait été «extraordinaire pour l’entreprise».
Le bénéfice net du groupe était de 19 milliards de dollars, en hausse de 81%...
Précisons que 62% des filiales de Chevron se trouvent dans des paradis fiscaux, notamment aux Bermudes et aux Bahamas.
Un modèle de responsabilité sociale.
L’annonce du verdict début janvier n’a eu qu’un très faible impact sur le cours des actions de Chevron.
Vu les recours juridiques dont dispose la firme, la procédure risque de durer encore des années. L’impact sur l’entreprise devrait être faible, estiment les analystes financiers.
Pourtant, en se battant pendant près de deux décennies pour faire valoir leurs droits, les Équatoriens ont montré qu’il est difficile pour les multinationales du pétrole de continuer à polluer en toute impunité.
Chevron vient d’être accusé au Brésil de «crime contre l’environnement», pour une fuite de plusieurs milliers de barils de pétrole, au large de Rio de Janeiro, en novembre (300 tonnes selon Chevron, 4 000 tonnes selon l’ONG écologiste SkyTruth).
L’État brésilien a interdit à Chevron de forer sur son territoire, en attendant les conclusions de l’enquête.
Coût des dégâts environnementaux : 8,5 milliards d’euros.
Le parquet brésilien demande que ce montant soit versé par Chevron comme indemnité « pour dommages environnementaux et sociaux ».
La victoire judiciaire des citoyens équatoriens sonne comme un avertissement.
Cam.
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