Déposés par nos semelles de vent au Nicaragua
- Reni Andcam
- 13 avr. 2015
- 3 min de lecture

"En route, le mieux c'est de se perdre. Lorsqu'on s'égare, les projets font place aux surprises et c'est alors, mais alors seulement, que le voyage commence." (Nicolas Bouvier)
L'important n'est pas l'itinéraire, l'important est de se perdre.
Une pause au Nicaragua s'impose à nous, comme une évidence.
La chaleur est accablante.
L'on transpire.
Un lent manège consiste à charger nos sacs à dos dans un pousse-pousse.
Mon manège à moi : les récupérer.
Leur théâtre : crier pour convaincre le spectateur, en l'occurrence, mon Reynald.
Dépossédés de nos bardâts, nous franchissons la frontière à pied.
Mon acharnement a refusé le jeu de la domination coloniale du prince et de la princesse poussés par un esclave égale le baiser qui m'a été volé.
Le charme colonial joue sa partition complète : enfilades de rues aux façades chaulées et colorées, toits de tuiles qui glissent en douceur sur les arcades en pierre sculptée, places animées à toute heure, palais qui rappellent la prospérité jadis convoitée, calèches le long des rues pavées accueillantes et terrasses se succédant dans la musique sud-américaine.
Les volcans habillés d'une aridité poudrée d'ocre, aux cratères parfois fumants, apparaissent puis disparaissent.
Les lacs, les rivières qui les alimentent, les cascades et les piscines naturelles expurgent leur douceur.
Chaque instant embaume le soleil.
Les habitants sourient.
Harassés, nos sacs à dos nous écrasent.
L'on dégouline à grosses gouttes d'avidité de consommer de la vie, du temps, des paysages.
Les bus frénétiques nous déchargent, à vive allure, comme de la vulgaire marchandise.
Les pistes non ombragées et non fréquentées sont un défi physique permanent.
Les sentiers mal balisés sont un jeu dans lequel l'on s'est perdu puis retrouvé dans le tourbillon des barbelés.
Les geais bleus à face blanche virevoltent, les colibris colibrionnent et les papillons papillonnent.
Des heures passées dans les transports ....
La route pour les îles paradisiaques tropicales de Corn Islands (islas del maiz) est une épopée rocambolesque.
Il nous faut traverser tout le pays pour rejoindre la côte ouest, de nuit, dans un bus bondé, au couloir inondé de passagers debout, froid en raison des fenêtres qui ne ferment plus, hermétique au pauses soulageantes, nous invitant à nous sustenter dans le noir au rythme des nombreux soubresauts.
Nous arrivons à 3 heures du matin à El Rama, l’ultime ville desservie par les transports terrestres.
Les deux hôtels affichent complets.
Nous orchestrons une opération de charme aux fins d'obtenir une chambre.
Après quelques heures de sommeil, nous empruntons la route fluviale.
Bluefields, passage obligé, a mauvaise réputation.
Notre embarcation de fortune concoure à nous coincer avec bonheur sur la minuscule île de puerto el bluff.
Le ferry pour Corn Island est annoncé le lendemain à 2 heures du matin.
Les réveils successifs ainsi que les allers et retours à la capitainerie ponctuent non seulement la nuit mais également les jours suivants.
Un jour ....
Deux jours ....
Trois jours ....
Toujours pas de ferry, pas d'eau dans la chambre, pas d'électricité, a-fortiori pas d'Internet, pas de restaurant d'ouvert le dimanche.
L'impatience de Reynald infuse.
Evénèment formidable : par miracle, nous embarquons sur un vieux rafiot ourlé de rouille.
Le vent hurlant chahute le chalutier.
La traversée de 6 heures exhale un souffle brûlant de liberté.
Saoûles de trop de soleil, nous sommes assoiffés de cocotiers.
Nous nous baignons dans un lit limpide et bleu turquoise.
Le bonheur succède au bonheur, rythmées par les couchers et levers du soleil.
La sérénité succède au silence, rythmées par les couleurs rastas et le blanc du sable.
L'on nous propose de la white lobster (langouste blanche).
De la white lobster ?
Ne sont-elles pas colorées et ne rougissent-elles pas à la cuisson ?
De la white lobster ?
Pourquoi pas ?
Nous n'avons pas faim ce midi, mais peut-être ce soir !!!
De la white lobster ?
Oh, de la cocaïne !!!
Les trafiquants de drogue partent de la Colombie avec des bateaux à moteur hyper puissants chargés de ce substra.
Ils s'arrêtent d'île en île jusqu'à atteindre les Etats-Unis où se vend la plus grande partie.
Les Corn Islands se situent sur ce parcours.
Quand les trafiquants pensent être repérés par la police maritime, ils larguent leur cargaison à la mer.
Ils appellent alors leurs contacts sur l'île, des pêcheurs, pour aller récupérer les paquets.
Les pêcheurs revendent alors aux trafiquants la cocaïne à 3 000 dollars le kilo.
Dernière étape : San Carlos.
Une rencontre Nicaraguayenne.
Quelques verres de rhum s'imposent, dans la plus pure tradition.
22 heures 30.
Religieusement coffrés par un lourd et sourd rideau.
Les lois de la rue nous propulsent sur les murs pour accéder à la terrasse du premier étage.
Nous sommes dans la puberté de faire le mur pour rentrer chez nous.
Les croisillons en bois ont lâché sous le poids de Reynald.
Deuxième tentative.
Sa main m'escalade.
Une bonne nuit nous attend avant de prendre la route pour le Costa Rica.
Cam.
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