L'assaut de la grotte d'Ouvéa
- Reni Andcam
- 24 avr. 2016
- 16 min de lecture
C’est avec peine que je découvre sur Internet, le décès de Cédric Michalski, en date du 15 septembre 2015, confrère au barreau de Mulhouse, avec qui j’ai partagé de bons moments lors de mon année de D.E.A à l’Université de Nancy 2.
Nous étions les deux ch’tis de la promo.
J’étais du Nord, il était du Pas-de-Calais (Lens).
Il a été enlevé à l’âge de 40 ans !!!
Et, je venais d’acheter son ouvrage intitulé “ L’assaut de la grotte d’Ouvéa” à Nouméa au moment où j’envisageais d’écrire sur le sujet.
Je ne résiste pas à la tentation de vous livrer sa prose afin de lui rendre hommage.
“ (...) Les premiers non Européens à devenir bacheliers, dans les années cinquante contribuèrent au renouveau indigène, fondé sur un retour aux valeurs traditionnelles de la coutume et du clan, qui tendait à “réendosser une fierté d’homme canaque”.
Ce mot est issu du mélanésien “kanak” qui signifie simplement “homme”, mais qui était principalement utilisé à titre d’injure raciste jusqu’à ce qu’il soit repris et revendiqué par le mouvement indépendantiste, qui choisit également le drapeau de la future République kanak indépendante, la kanaky, sur lequel figure la traditionnelle flèche faîtière des cases.
Croire en l’unité du mouvement indépendantiste serait pourtant illusoire.
Car la jeunesse kanak ne pouvait se reconnaître dans des aspirations passéistes et nostalgiques d’une organisation clanique dont elle ne voulait pas plus qu’une société de consommation excessive et décadente.
Ce déchirement culturel, expression d’un déracinement profond, fut d’abord incarné par Nidoish Naisseline, chef des “Foulards rouges” à la fin des années soixante-dix, puis par le “Groupe 1878” créé en 1974, et se prolongera sans doute dans le désarroi d’un Alphonse Dianou face au manque de soutien du FLNKS.
En 1977, la politique calédonienne s’organisa autour de la bipolarité entre indépendantistes et loyalistes, ces derniers s’exprimant par leur parti du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), fondé par Jacques Lafleur, et qui devint rapidement la branche locale du RPR.
L’adjectif “caldoche” fut dès lors attribué à la population européenne de Nouvelle-Calédonie, bien que ce terme désignât à l’origine les métropolitains par opposition aux calédoniens, qu’ils fussent de souche mélanésienne ou non.
La victoire de la gauche lors de l’élection présidentielle de 1981 fit naître de grands espoirs chez les indépendantistes (représentés depuis 1979 par le Front indépendantiste), rapidement déçus, d’autant plus que l’égalité politique établie par le principe “un homme égale une voix” joua en la défaveur des Kanak, minoritaires en nombre.
Le Front de libération national kanak socialiste (FLNKS) fut constitué en 1984, qui regroupa des aspirations diverses dans leur fond et leur expression : l’Union calédonienne (UC), le Front uni de libération kanak (FULK), l’Union progressiste mélanésienne (UMP), le Parti socialiste calédonien (PSC), et le Parti de libération kanak (PALIKA).
(...)
Le combat décidé par le FLNKS s’inscrivait dans une logique anti-coloniale et entra dans la spirale de la violence amorcée deux ans plus tôt.
En effet, le secrétaire général de l’UC, Pierre Declercq [un européen portant la nationalisme kanak], fut assassiné le 19 septembre 1981 alors que le 24 septembre de l’année suivante, jour du cent trente et unième anniversaire de la prise de possession française, avait été déclaré “journée de deuil et de lutte kanak” par le Front indépendantiste, qui inaugura alors ce qui devint par la suite la principale méthode de manifestation indépendantiste, consistant en des barrages routiers dressés par des hommes en armes.
Quelques mois d’agitation violente, qui virent la mort de deux gendarmes dans un affrontement à Koindé, précédèrent les accords de Nainville-les-Roches, dont Jacques Lafleur se désolidarisa in extremis, privant davantage de portée ce texte à la valeur initiale plus symbolique que réelle.
Le 18 novembre 1984, jour d’élections pour les législatif et exécutif locaux, le FLNKS décida d’un “boycott actif”, durant lequel l’indépendantiste Eloi Machoro brisa symboliquement une urne à coups de hache dans le bureau de vote de Canala.
Le boycott fut un succès, mais n’empêcha pas Jacques Lafleur de constituer un gouvernement local.
Barrages contre barrages, milices contre milices, le conflit désormais ouvert et armé entre Kanak et Caldoches, ou plus exactement entre anti-et-pro-indépendantistes, ne connut bientôt plus de limites de droit.
En cette même année 1984, Eloi Machoro s’improvisa chef de guerre et occupa la ville de Thio.
Envoyés en renfort pour en libérer les habitants, les gendarmes mobiles furent héliportés par erreur au milieu des indépendantistes en armes.
Les gendarmes choisirent de se laisser désarmer afin de ne pas provoquer de tuerie inutile : victoire sans coup férir de Machoro, dont certains ont pu dire qu’elle nourrit dès lors une rancœur dans les rangs des forces de l’ordre qui trouva à se satisfaire lors de sa “neutralisation” l’année suivante.
Alors qu’Edgard Pisani était nommé délégué du gouvernement en Nouvelle-Calédonie le 1er décembre 1984, jour de l’installation officielle du “gouvernement provisoire” (shadow cabinet) du FLNKS, les maisons de colons continuaient d’être pillées et brûlées de par le territoire, tandis que les forces de gendarmerie avaient été désarmées pour éviter d’être dépouillées de leur arsenal par les indépendantistes.
La nomination de cet ancien ministre du général de Gaulle et grand commis de l’État sembla satisfaire les indépendantistes qui décidèrent de modérer leur protestation.
Cependant, le 5 décembre, des broussards [anti-indépendantistes] de la vallée de Hienghène assassinèrent dix militants du FLNKS, dont [deux frères du dirigeant du FLNKS] Jean-Marie Tjibaou, [en représailles aux incendies et aux pillages répétés de maisons de Caldoches par les militants du FLNKS dans les environs], dans ce qui ne pouvait être considéré que comme un guet-apens.
Ils furent néanmoins acquittés le 29 octobre 1987 par la Cour d’assises de Nouvelle-Calédonie (siégeant à Nouméa), [ce que Jean-Marie Tjibaou commente en ces termes : « La chasse au Kanak est ouverte »].
Le dialogue s’engagea malgré quelques incidents sporadiques (le 16 décembre, trois morts dans un incendie criminel à Bourail ; le 31 décembre, attentats anti-indépendantistes à Nouméa), qui aboutit au plan Fabius-Pisani consistant en une “indépendance-association” semblable à celle que la Nouvelle-Zélande avait mise en place avec les îles Cook, sans toutefois parvenir à faire taire la violence.
Le 11 janvier 1985, Yves Tual, le fils d’un éleveur européen, fut tué par des mélanésiens.
Le lendemain, Eloi Machoro[successeur de Pierre Declercq au secrétariat général de l'UC et « ministre de la Sécurité » du Gouvernement provisoire de Kanaky] trouva la mort dans des circonstances qui mériteraient à elles seules d’être examinées en profondeur.
(...)
Le GIGN était présent en Nouvelle-Calédonie depuis décembre 1984, date à laquelle le sous-préfet de Lifou fut pris en otage, puis libéré après quelques jours de captivité, la veille de l’assaut qui avait été prévu.
Suite à la prise de Thio par Eloi Machoro, le général de la gendarmerie Deiber fut désigné pour maintenir l’ordre sur l’île, et conserva pour ce faire un élément du GIGN (un officier, en l’occurrence le capitaine Picon, et douze sous-officiers) prêt à intervenir pour protéger Edgard Pisani.
Un soir (le 11 janvier 1985), le général Deiber convoqua cet élément pour l’informer de la présence dans une ferme appelée “La Bachellerie” d’une cinquantaine d’indépendantistes kanak, qui furent rapidement cernés par le GIGN et deux escadrons de gendarmes mobiles.
Le lendemain matin, et après les sommations réglementaires, les forces de l’ordre lancèrent des grenades lacrymogènes et offensives afin de faire rentrer dans le bâtiment les quelques individus qui se trouvaient à l’extérieur.
Au contraire, les Kanak présents à l’intérieur sortirent et gagnèrent des postes de combat.
Le capitaine Picon proposa alors d’effectuer un tir de neutralisation sur trois individus : celui qui paraissait donner des ordres (Eloi Machoro, que le capitaine Picon ne connaissait pas), un Kanak qui semblait relayer les ordres du premier, et un troisième en place dans un poste de combat.
Après sommation, les trois tirs devaient être simultanées.
Or, l’une des trois cibles disparut au dernier instant, si bien que seuls deux tireurs firent feu.
Les hommes visés bougeaient tellement que les balles atteignirent des organes vitaux au lieu de toucher normalement l’épaule : le thorax pour Machoro, la colonne vertébrale pour Marcel Nonnaro.
La mort de Machoro, officiellement qualifiée de “neutralisation”, fut vécue comme un assassinat par les indépendantistes, qui y discernèrent la vengeance d’une gendarmerie ridiculisée à Thio par ce chef de guerre par trop médiatique et arrogant.
Le souvenir de Machoro était encore tenace dans la grotte de Gossanah dans laquelle le capitaine Picon fut enfermé (...)
1986 vit l’apparition d’une situation inédite dans l’histoire institutionnelle française en général, et de la Vème République en particulier : l’exécutif était pour la première fois partagé entre deux hommes de légitimité incontestable mais de camps politiques différents.
La nouvelle majorité emmenée par le Premier ministre Jacques Chirac allait modifier les orientations du plan Pisani, jusqu’à tendre à l’éradication pure et simple des indépendantistes considérés comme des terroristes qu’il fallait alors “terroriser”.
Appuyé sur la majorité non kanak du corps électoral, le nouveau gouvernement de Jacques Chirac, qui avait nommé Bernard Pons au ministère des DOM-TOM, organisa un référendum d’autodétermination : objet d’un “boycott passif” par le FLNKS, il vit la large victoire des loyalistes au soir du 13 septembre 1987.
Mais la reprise en mains du territoire se concrétisa surtout par un quadrillage militaire des tribus (appelé “nomadisation” dans le jargon soldatesque), officiellement justifié par la réalisation de grands travaux, et qui eut un effet double.
D’une part, la présence de soldats en armes qui faisait de la Nouvelle-Calédonie la zone militaire la plus dense de France ne pouvait manquer de passer pour une provocation aux yeux des indépendantistes, qui dénoncèrent une “algérisation du territoire” et trouvèrent à agir sur la personne des gendarmes.
En effet, la gendarmerie devait assurer continûment sa mission de service public, qui supposait l’accueil paisible et sans a priori de tous les individus de la communauté calédonienne quelle que fût leur origine, tandis que les unités de l’armée “régulière”, par opposition à sa composante gendarmique “séculière”, pouvaient assurer leur propre sécurité par un isolement total et une dissuasion d’autant plus convaincante qu’elle autorisait une plus grande latitude dans l’usage des armes.
Si bien que la politique engagée par le gouvernement contribua également à faire des gendarmes, pourtant réarmés depuis, une cible de choix.
(...)
L’année 1988 débuta dans une atmosphère “tendue mais maîtrisée” du fait de la présence de troupes militaires et de renforts de gendarmerie mobile.
Le ministère des DOM-TOM avait entamé les travaux de construction d’un hôpital à Poindimié.
La population kanak en approuvait l’idée, mais rejetait l’emplacement choisi car se situant sur une terre coutumière.
Les premières fondations furent cependant creusées sous la surveillance constante d’un peloton de gendarmes mobiles.
Le 22 février, une centaine d’indépendantistes prirent les gendarmes d’assaut, en capturèrent une dizaine qu’ils emmenèrent en brousse et volèrent leurs armes, la volonté de ne faire aucune victime ayant commandé aux gendarmes de ne pas riposter.
Le lieutenant-colonel Benson, après avoir bloqué l’accès des lieux à la presse afin de ne pas offrir de tribune aux ravisseurs, obtint la libération des otages et la restitution d’une partie des armes par le jeu de ses relations et contre la promesse de laisser quarante-huit heures d’avance aux indépendantistes.
Les événements de Poindimié révélèrent la relative vulnérabilité des gendarmes, qui étaient obligés à une attitude “ferme mais compréhensive” à l’égard des populations locales, à une accessibilité permanente de leurs locaux, ainsi qu’à une mission générale de renseignement dont le succès ne pouvait dépendre que de la proximité avec les citoyens.
(...)
Politiquement, avril 1988 était d’une importance encore plus considérable en Nouvelle-Calédonie qu’en métropole.
Au premier tour de l’élection présidentielle s’ajoutait sur le territoire le scrutin régional, ce que le FLNKS avait vivement dénoncé comme une provocation de la majorité parlementaire, et auquel son comité de lutte avait prévu de s’opposer par des actions dont la nature devait être définie par les comités locaux.
(...) La décentralisation dans la définition des modalités pratiques de l’exécution des décisions était de mise au FLNKS.
(...)
Il semblerait (...) que d’autres actions étaient prévues à Maré, Lifou, et visait le contrôle de l’aérodrome d’Ouloup.
Vendredi 22 avril 1988, 7h50 : la brigade de gendarmerie territoriale de Fayaoué, renforcée en vue du déroulement du double scrutin présidentiel et territorial de deux pelotons de gendarmerie mobile venus de métropole (...) fut prise d’assaut par un groupe d’indépendantistes kanak.
Chanel Kapoéri, animateur local de l’Union Calédonienne et vice-président de la région des îles Loyauté était un familier de la brigade à laquelle il se rendait régulièrement pour offrir ou vendre aux gendarmes poissons et crustacés ; sa visite (...) ne surprit donc pas le maréchal des logis chef Jean-Paul Lacroix, chef de la brigade dans les locaux de laquelle se trouvaient également le gendarme territorial Dujardin, le gendarme mobile Eric Alengrini et le lieutenant de gendarmerie mobile Florentin.
Brusquement, Chanel et trois de ses compagnons qui l’avaient accompagné à l’intérieur brandirent des couteaux et firent prisonniers les gendarmes présens.
Le chef Lacroix eut tout juste le temps de lancer par radio un bref message d’alerte à destination de Nouméa.
La rixe qui suivit projeta les belligérants à l’extérieur des locaux de la brigade, sur le seuil de laquelle le lieutenant Florentin fit feu sur l’un des assaillants, Augustin Poumely, le blessant à l’abdomen, et reçut en retour un coup de machette (...).
Le gendarme mobile Eric Alengrini reçut dans le visage un jet de gaz lacrymogène.
Sous la menace, le chef Lacroix ouvrit l’armurerie qui fut dévalisée.
Dans la cour de la brigade, le gendarme territorial Edmond Dujardin fut abattu tandis que le gendarme Jean Zawadzki paya de sa vie la défense de l’armurerie.
Après la reddition des gendarmes, lesquels furent allongés dans la cour de la brigade, les gendarmes Leroy et Moulié trouvèrent la mort dans des circonstances incertaines.
Selon [certains], les deux gendarmes furent abattus, désarmés, alors qu’ils tentaient de raisonner les assaillants.
Quant [aux autres], Leroy et Moulié trouvèrent la mort, armés, dans le feu de l’action.
(...)
[Quatre gendarmes sont décédés lors de l’attaque de la brigade, deux gendarmes et trois assaillants ont été blessés.]
De l’ensemble des gendarmes survivants, les ravisseurs formèrent deux groupes d’otages : onze gendarmes furent emmenés vers Moly, à une douzaine de kilomètres du sud de l’île, tandis qu’une quinzaine d’entre eux fut conduit vers la pointe nord d’Ouvéa (en deux groupes) vers une grotte dont l’entrée se trouvait au fond d’un cratère corallien dissimulé par l’abondante végétation sub-tropicale de l’île.
Cette situation exceptionnelle avait pour conséquence de faire du repaire des ravisseurs un bastion apparemment inexpugnable car pouvant être défendu à partir e la crête du cratère au fond duquel il se trouvait.
En outre, cette grotte était un endroit sacré parce qu’elle accueillait les dépouilles de guerriers valeureux, d’où elle tirait son nom de “grotte des guerriers”.
Tandis que des barrages routiers devaient ralentir la progression d’éventuels poursuivants les autorités de Nouméa réagirent au message de détresse envoyé depuis la brigade attaquée: craignant que l’aérodrome d’Ouloup ne fût la cible d’une semblable manoeuvre, l’état-major envoya sur place un détachement du régiment d’infanterie de marine du Pacifique (RIMAP) commandé par le lieutenant Destremau.
Ce dernier, se fondant sur des témoignages immédiatement recueillis et appuyé par plusieurs pelotons de gendarmes mobiles, orienta ses recherches sur le nord de l’île et plus particulièrement le territoire des tribus de Takedji, Weneki, Gossanah, Ognat et Teouta, les trois dernières d’entre elles étant farouchement indépendantistes au point que les hélicoptères militaires ne purent se poser qu’à Saint-Joseph.
Les soupçons se concentrèrent néanmoins sur la tribu de Gossanah.
Le 26 avril, les otages retenus à Mouly furent libérés par la négociation, alors que, la veille, la réélection de François Mitterrand sembla acquise dès le premier tour du scrutin présidentiel tant son avance sur Jacques Chirac, par ailleurs gêné par la poussée de Jean-Marie Le Pen, était importante.
Au nord de l’île, toutefois, la grotte demeurait introuvable malgré la quadrillage systématique du terrain (...) entrepris par les forces de l’ordre.
Le 26, les deux autres groupes de prisonniers se rejoignirent près de la tribu de Gossanah, avant d’être conduits au fond de la “grotte des guerriers”.
Les forces de l’ordre s’organisèrent immédiatement après l’attaque de la brigade.
Dès le vendredi 22 avril, les premiers renforts de gendarmerie débarquèrent sur Ouvéa et, le même jour, le haut-commissaire Clément Bouhin prit l’une des décisions qui influencèrent le plus profondément le cours des événements, puisqu’il requit les forces armées de troisième catégorie afin de rétablir l’ordre.
La mainmise de l’armée s’accentua le lendemain par la nomination du Général Jacques Vidal (commandant supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie) à la tête de l’opération baptisée Victor.
Le dimanche 24 avril, vingt gendarmes du GIGN et vingt-huit de l’EPIGN commandés par le capitaine Philippe Legorjus, arrivèrent à Gossanah.
Les soupçons s’étaient rapidement portés sur cette tribu du nord de l’île en raison, d’une part, de l’attitude ouvertement indépendantiste de son chef, Djubelly Wea et, d’autre part, des tirs qu’avait essuyés un hélicoptère de recherche patrouillant la veille dans cette zone.
Cet incident offrit au lieutenant-colonel Benson l’occasion de demander au général Vidal l’interdiction de l’île à la presse ainsi que la coupure des communications extérieures.
Comme à Poindimié, l’objectif réel était de ne pas offrir de tribune publique aux indépendantistes, sous le couvert officiel de la protection des journalistes qui risquaient de faire office de cibles.
Commença alors la mission de renseignement qui fut conjointement menée par la gendarmerie territoriale, le GIGN et les hommes du RIMAP (Régiment d’infanterie de marine du Pacifique).
Au cours d’opérations de “nomadisation”, le RIMAP avait recueilli quelques informations sur l’existence d’une grotte sacrée, confirmées par des Kanak de la tribu anti-indépendantiste de Weneky.
Ces indices furent confortés par la découverte à l’est du village de Gossanah de trois camions qui auraient pu servir au transport des otages.
Le 26 avril, le lieutenant d’infanterie Destremeau, guidé par le pisteur Antonin qui était également le porte-parole de la chefferie de Weneky, décida de s’approcher de la grotte.
Accusé de traîtrise, Antonin sera battu et n’eut la vie sauve que grâce à un mauvais fonctionnement de l’arme de Wenceslas Lavelloi qui voulait l’exécuter.
Le capitaine Legorjus, qui observait à distance la tentative de négociation menée par le lieutenant Destremeau, vit ce dernier capturé et enchaîné à un autre otage avant d’être conduit à l’intérieur de la grotte enfin localisée.
Le mercredi 27 avril, le capitaine Legorjus se rendit à la grotte avec le substitut du procureur Jean Bianconi qui, fort de sa connaissance du milieu indépendantiste kanak, voulut approcher seul et désarmé pour négocier, avec pour seul viatique deux bouteilles d’eau.
Le chef du GIGN l’accompagna précipitamment et tous deux furent capturés sous les yeux d’une quinzaine d’hommes du GIGN dont une partie n’était pas suffisamment dissimulée pour échapper à la vigilance des Kanak placés aux postes de combat autour de la grotte.
Aux exhortations d’Alphonse Dianou, le capitaine Legorjus mentit sur le nombre réel de gendarmes et n’en appela que six à la reddition.
L’appartenance des nouveaux otages au GIGN fit peser sur eux une menace permanente.
En effet, les ravisseurs découvrirent dans des sacs de matériel la liste des “super gendarmes” présents sur place, sur laquelle figurait le nom du capitaine Picon qui avait commandé le tir de “neutralisation” sur Eloi Machoro.
Dès lors, les preneurs d’otages n’eurent de cesse d’essayer d’identifier celui qu’ils tenaient pour l’assassin du chef charismatique indépendantiste.
Conscient du prestige que lui conférait la capture de ces gendarmes d’élite, Alphonse Dianou ordonna de les enchaîner deux par deux à la place des autres gendarmes otages, qui virent leur sort s’améliorer tandis que les membres du GIGN furent tenus prisonniers dans le fond de la grotte.
Le capitaine Legorjus échappa à ce traitement en se présentant comme un négociateur envoyé par la Direction générale de la gendarmerie nationale, ce qui lui permit de quitter la grotte le soir-même pour rapporter au général Vidal l’exigence d’Alphonse Dianou selon laquelle les forces armées devaient quitter le villagede Gossanah.
Le jeudi 28 avril, le capitaine Legorjus retourna à la grotte tandis que les troupes se repliaient sur le village de Saint-Joseph.
Apaisé par cette victoire, Alphonse Dianou consentit au principe d’une médiation.
Le nom de Franck Wahuzue fut retenu : membre modéré duFLNKS, porte-parole de chef coutumier, il recueillit l’approbation de Legorjus, Bianconi et Dianou.
Le vendredi 29 avril, Bernard Pons, ministre des DOM-TOM, présent sur Ouvéa depuis le dimanche précédent, autorisa la prise de contact avec Franck Wahuzue, mais interdit au capitaine Legorjus de retourner à la grotte parce que la presse avait fait état de sa mission.
Le substitut Bianconi, qui avait été également autorisé à quitter la grotte, informa les autorités de la dégradation de la situation des otages.
Une opération de libération par la force fut envisagée lors d’une réunion le samedi 30 avril, à laquelle participèrent les commandants du Onzième Choc et du Commando Hubert arrivés sur Ouvéa le matin même.
Le lendemain, les médiations de Franck Wahuzue et de l’evêque de Nouméa, Mgr Calvet, échouèrent.
Face à une solution armée qui se dessinait de plus en plus précisément, le capitaine Legorjus chercha à gagner du temps et suggéra au ministre des DOM-TOM d’envoyer à la grotte une équipe de télévision.
Bernard Pons hésita, puis proposa le remplacement des journalistes d’Antenne 2 par une équipe du SIRPA (Service d’information et de Relations Publiques des armées), avant d’opposer finalement son refus.
Le souci principal du capitaine Legorjus était de protéger les otages durant l’assaut.
A cette fin, il proposa de leur faire parvenir des armes et la clé de leurs menottes, ce dont le substitut Bianconi se chargea, non sans courage, le mardi 3 mai.
Pour des raions troubles, l’opération n’eut pas lieu le lendemain, alors que de fortes pluies auraient rendu l’approche des troupes plus silencieuses, mais le jeudi 5 mai.
Après plus de sept heures de marche nocturne sur un parcours balisé par l’EPIGN, le détachement de combat composé de quatorze hommes du GIGN, trente-quatre du Onzième Choc, seize du Commando Hubert, vingt-neuf de l’EPIGN en réserve et protection, quarante-six brancardiers du RIMAP, arriva vers six heures dix aux abords de la grotte.
Mal positionné, il ne put cependant pas profiter de l’effet de surprise escompté.
Un hélicoptère dut se placer en vol stationnaire au-dessus de l’entrée de la grotte afin d’en signaler la position exacte.
Le premier tir de l’assaut atteignit l’un des gendarmes de l’EPIGN dans l’hélicoptère.
Le combat fut plus que rude, au sein d’une végétation qui n’autorisait qu’une visibilité de l’ordre de deux à trois mètres.
Les servants d’un fusil mitrailleur AA52 durent être délogés à l’aide d’un lance-flammes.
Dès le début de l’assaut, deux otages qui dormaient habituellement à l’extérieur de la grotte sous une bâche, le gendarme Addari et l’adjudant-chef Coquet se protégèrent comme ils purent au ras du sol tandis qu’à l’intérieur les gendarmes du GIGN Picon et Dubois se réfugièrent dans le fond de la grotte, protégeant les autres otages de leurs armes faiblement munies.
Cette première phase de l’assaut dura un quart d’heure et se solda par la mort de douze Kanak et de deux membres du Onzième Choc.
L’on compta également un blessé dans les rangs de l’EPIGN (celui qui se trouvait dans l’hélicoptère), deux blessés légers au Commando Hubert, et deux blessés, dont l’un grièvement, au GIGN.
Alors que le capitaine Legorjus tentait une ultime et vaine démarche de négociation auprès de Franck Wahuzue à Saint-Joseph, la situation fut évaluée de la façon suivante par le général Vidal : environ une douzaine de Kanak s’étaient réfugiés dans la grotte, dans le fond de laquelle les gendarmes du GIGN Picon et Dubois protégeaient les autres otages sans pouvoir tenir très longtemps du fait du manque de munitions.
Une fois le terrain dégagé par le Onzième Choc et le Commando Hubert, le GIGN entra dans la grotte à l’aide de grenades lacrymogènes et offensives et d’armes de précision, pendant que les otages prirent la fuite par une cheminée naturelle.
Seuls trois Kanak qui opposèrent une résistance furent tués pendant cette seconde phase de l’assaut qui prit fin vers 13 heures.
Les officiers de police judiciaire procédèrent aux premières constatations, pendant que le ministre des DOM-TOM et les responsables de l’opération donnèrent une conférence de presse durant laquelle, dans leur précipitation à tenir la France informée de leur succès, ils se trompèrent sur le nombre exact des victimes.
L’admiration dont témoignèrent certains pays étrangers face à l’habilité des forces spéciales françaises fut cependant ternie dans les jours qui suivirent le dénouement de la prise d’otages et la réélection de François Mitterrand.
Certaines rumeurs commencèrent à circuler dans la presse au sujet du mystère entourant le décès de quatre indépendantistes : Patrick Waïna Amossa, Alphonse Dianou, Wenceslas Lavelloi et Samuel Wamo.
“Corvées de bois”, “massages cardiaques à coups de Rangers”, telles furent les expressions employées.
La lumière ne fut toutefois jamais faite sur l’affaire d’Ouvéa.
En effet, si l’enquête de commandement militaire ordonnée par le ministre de la Défense du nouveau gouvernement de Michel Rocard, Jean-Pierre Chevénement, fut menée à son terme, l’action publique fut éteinte par deux lois d’amnistie de 1988 et 1990, votées dans l’optique de la réconciliation entre les communautés du territoire et le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie adopté par un référendum national.”
Avec 19 preneurs d'otages et 2 militaires tués, les indépendantistes ont accusé alors les forces de l'ordre d'avoir « laissé mourir volontairement » ou « exécuté sommairement» certains preneurs d’otages après l’assaut. Ceci marque l'apogée de la violence des « Évènements », et pousse les dirigeants des deux camps à négocier un retour à la paix qui va aboutir aux accords de Matignon.
La question de la prise d’otages d’Ouvéa et de son issue font toujours partie des sujets les plus sensibles au sein de l'opinion publique néo-calédonienne.
Le 4 mai 1989 est marqué par l’assassinat à Ouvéa, par Djubelly Wéa, un militant indépendantiste extrémiste issu du FULK opposé aux accords de Matignon qu'il voit comme une trahison de la part des dirigeants du FLNKS, de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné-Yeiwéné, lors des cérémonies de levé de deuil des militants indépendantistes morts dans l'affaire de la grotte de Gossanah l'année précédente.
Cam
Source : L’assaut de la grotte d’Ouvéa, Cédric Michalski, L’Harmattan, 2004.
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